• L'arrêt rendu le 10 septembre 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cdc_Com_10_9_2013) pourrait surprendre de prime abord, et appelle sans doute une vigilance particulière lors de la rédaction des statuts de société par actions simplifiée (SAS) :

    "Sauf stipulation contraire, l'associé d'une société par actions simplifiée n'est pas, en cette qualité, tenu de s'abstenir d'une activité concurrence de celle de la société et doit seulement s'abstenir d'actes de concurrence déloyale"

    Voyons les faits, puis décortiquons.

    Après avoir cédé le contrôle d'une société de collecte et de traitement des déchets (la société LBDI), l'ancien actionnaire majoritaire avait néanmoins conservé une participation minoritaire dans cette société.

    Accompagné de deux acolytes, il avait ensuite créé une nouvelle société (la société LGT) ayant une activité strictement identique à celle de la société LBDI et lui faisant directement concurrence en postulant aux mêmes appels d'offres.

    A la suite d'un appel d'offres remporté par la société LGT, la société LBDI (ses dirigeants) ont engagé des poursuites judiciaires à l'encontre de l’associé en question et ont sollicité l'octroi de dommages et intérêts sur le terrain délictuel.

    La Cour de cassation, à l'inverse de l'appréciation retenue par la Cour d'appel de Lyon a retenu que le comportement de l'associé poursuivi n'était pas condamnable.

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    Cette solution en étonnera plus d'un, car considérant le contexte (ancien associé majoritaire, associé toujours présent au capital), on se serait attendu à davantage de retenue de la part de l’associé concerné.

    Ce que le droit autorise ici, la morale le déconseillerait sans doute.

    Mais ne mélangeons pas tout ! Le droit et la morale ont chacun leur domaine, lesquels ne se recoupent pas toujours.

    En revanche, l'on peut comprendre qu'un simple associé minoritaire, dont la participation peut être faible et en tout cas non déterminante sur les décisions de la société, qui ne dispose pas véritablement d'informations confidentielles, puisse conserver sa liberté d'action et d'investissement.

    On peut ajouter que dans le cadre du développement du PEA PME, il est indispensable de permettre à de tels associés minoritaires de conserver toute latitude s'agissant des secteurs d'activité dans lesquels interviennent les sociétés dont ils acquièrent des parts sociales. En prenant l'exemple de très grandes sociétés, imagine-t-on qu'il soit impossible d'acquérir à la fois des titres Total et British Petroleum ?

    On voit bien l'absurdité de la position, même si le cas de l'espèce rendait sans doute les choses moins évidentes.

    Attention cependant, car l'arrêt examiné ne saurait être interprété comme une licence accordée à tous les associés de SAS de faire concurrence à la société dont ils détiennent des parts sociales.

    1. Si, l'associé de SAS est par ailleurs salarié de ladite SAS, il peut être soumis à l'obligation de non-concurrence qui est susceptible d'être inscrite dans son contrat de travail : ce sera donc la clause de non-concurrence figurant dans le contrat de travail qui sera sanctionnée devant le Juge prud'homal et selon les règles applicables en matière de droit du travail.

    2. Si l'associé de SAS est par ailleurs dirigeant de ladite SAS, il est soumis à une obligation de loyauté distincte qui lui interdit de développer une activité concurrente de celle de la société (Cdc_Com_18_12_2012 ; Cdc_Com_12_3_2013).

    3. Si les statuts de la SAS ont expressément prohibé la possibilité pour un associé d'exercer une activité concurrente à celle de la société dont il possède des parts sociales, cette prohibition devient la loi des parties et s'impose à tous les associés. D'où la nécessité de prévoir une telle clause lors de la rédaction des statuts afin d'éviter toute mauvaise surprise.

    4. Si l'acte de cession des parts sociales prévoit une clause de non-concurrence pour le cédant, il existe une obligation contractuelle, à la charge du cédant, de ne pas concurrencer le cessionnaire. Dans la situation ayant donné lieu à l'arrêt examiné, une telle clause aurait pu être imaginée, et aurait sans doute été appropriée. Il peut, en effet, apparaître choquant que le précédent actionnaire majoritaire devenu actionnaire minoritaire fasse concurrence à la société dont il a cédé des parts au moyen d'une société nouvellement créée. Mais encore faut-il le prévoir.

    En tout état de cause, même si l'associé n'est ni salarié ni dirigeant de la SAS, et si aucune disposition spécifique n'est prévue dans les statuts, l'associé d’une SAS, même minoritaire, se voit interdits tous actes de concurrence déloyale (parasitisme, dénigrement, imitation, désorganisation).

    Me Xavier Chabeuf

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  • A l’occasion de la fin de la relation de travail liant l’employeur et le salarié, quelle qu’en soit la cause, l’auteur ou le responsable, l’employeur est tenu de remettre au salarié trois documents dits de « fin de contrat » : le reçu pour solde de tout compte (1), le certificat de travail (2) et l’attestation d’assurance chômage destinée à Pôle emploi (3).

    Ces documents sont « quérables » et non « portables » ce qui signifie qu’ils n’ont pas à être envoyés au salarié : ils sont mis à sa disposition à charge pour ce dernier de se présenter à l’entreprise pour en prendre possession.

    Nous les examinerons successivement.

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    Le reçu pour solde de tout compte

     

    Il doit être établi en double exemplaire dont un est remis au salarié.

    Finies les idées fausses sur ce document de fin de contrat, voici ce qu’il faut retenir :

     

    1. A quelle occasion faut-il établir un solde de tout compte ? Toutes les formes de rupture du contrat de travail, quel qu’en soit l’auteur ou le responsable, sont concernées : fin de période d’essai, licenciement, démission, rupture conventionnelle, départ ou mise à la retraite, ...
    2. Que doit-il contenir ? L’inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail (c. trav. art. L.1234-20 : L1234_20). La jurisprudence n’ayant pas encore fait le détail de cet « inventaire », l’employeur a intérêt à détailler les différents éléments de rémunération ou d’indemnisation alloués au salarié à cette occasion (salaire, primes, indemnité compensatrice de congés payés, etc.) et à ne pas se contenter d’indiquer une somme nette globale ;
    3. Quand faut-il l’établir ? Après la résiliation ou l’expiration du contrat, c’est-à-dire à la fin du préavis ou le jour du départ de l'entreprise en cas de dispense de préavis (Soc., 17 janvier 1996, n° 92-42.734 : soc__17_janvier_1996). En cas de rupture conventionnelle, il doit être remis le lendemain du jour de l’homologation de la rupture conventionnelle ;
    4. Le salarié peut-il refuser de le signer ? Oui (ça lui évitera d’avoir à le dénoncer ensuite). En conséquence, contrairement à l’idée reçue, l’employeur ne peut pas subordonner le paiement des éléments du solde de tout compte et/ou la remise des autres documents de fin de contrat (attestation Pôle emploi, certificat de travail) à la signature du reçu pour solde de tout compte par le salarié ;
    5. Quelle est sa valeur ? très relative. Le reçu pour solde de tout compte, s’il a été signé par le salarié, n’a d’effet libératoire pour l’employeur que pour les seules sommes qui y sont mentionnées. Il ne vaut pas renonciation, par le salarié, à son droit de contester la légitimité de son licenciement (Soc. 2 février 2011, n° 09-40.453 : soc_2_fevrier_2011) ou à réclamer des sommes qui n’étaient pas mentionnées sur le reçu pour solde de tout compte (soc., 18 décembre 2013, n° 12-24.985 : soc_18_decembre_2013) ;
    6. Peut-il être dénoncé ? Oui. A supposer qu’il l’ait signé, le salarié a la faculté de dénoncer le reçu pour solde de tout compte par lettre recommandée dans les 6 mois qui suivent sa signature. Au-delà de ce délai il devient libératoire pour l’employeur concernant les sommes qui y sont mentionnées (c. trav. art. L.1234-20) ;

    A suivre : le certificat de travail …

    Me Manuel Dambrin

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  • Par une série d’arrêts rendus le 25 septembre 2013, la Cour de cassation a précisé sa jurisprudence sur le préjudice d’anxiété.

    Petit rappel. En 2010 la Cour Suprême a jugé que les salariés qui avaient travaillé dans des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, même s’ils n’étaient pas malades, se trouvaient dans une « situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante » et étaient « amenés à subir des examens réguliers propres à réactiver cette angoisse ». L’employeur était alors condamné à payer des dommages et intérêts pour réparer ce préjudice spécifique.

    L’objet des décisions rendues le 25 septembre est de favoriser l’indemnisation de ce préjudice.

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    Désormais ce préjudice peut être indemnisé, que le salarié « se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers » (cass. soc. 25 septembre 2013, n° 11-20948 : 1).

    Lorsque le salarié n’a développé aucune maladie, les demandes indemnitaires fondées sur le préjudice d’anxiété relèvent de la compétence de la juridiction prud'homale (cass. soc. 25 septembre 2013, n° 12-12883 : 2).

    L’indemnisation accordée au titre du préjudice d’anxiété doit prendre en compte « l’ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante » (cass. soc. 25 septembre 2013, n° 12-20912 : 3).

    Enfin, les dommages et intérêts alloué de ce chef, qui résulte du non-respect par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat « sont garantis par l’AGS » (cass. soc. 25 septembre 2013, n° 11-20948).

    Me Manuel Dambrin

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  • On sait que Stendhal, dans son travail d'écriture, s'astreignait à la lecture quotidienne du Code civil : " Je n’ai qu’un moyen d’empêcher mon imagination de me jouer des tours, c’est de marcher droit à l’objet. […] Je fais tous mes efforts pour être sec".

    A cet égard, l'article 1128 du Code civil ne lui a sans doute pas échappé, dans sa belle concision, qui l'a vu traverser les siècles, de 1804 à nos jours : "Il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions".

    La Cour de cassation a récemment fait une application de ce texte à la cession de fichier informatisé de données personnelles, preuve que lorsqu'un texte de loi est bien écrit, il n'est point nécessaire de l'amender continuellement, mais qu'il sait s'adapter à des situations nouvelles inimaginables à l'heure de sa rédaction.

    Dans cet arrêt du 25 juin 2013, (P. n° 12-17.037: CdC___25_6_2013), la Chambre commerciale a rappelé que tout fichier informatisé contenant des données à caractère personnel doit faire l'objet d'une déclaration auprès de la Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL) et a considéré qu'un fichier qui n'avait pas été déclaré n'était pas dans le commerce et, partant, que sa vente était illicite.

    Cette solution n'était pas évidente et elle apparaîtra sans doute sévère à certains.

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    Elle confère une portée beaucoup plus forte à l'obligation figurant à l'article 22 de la loi de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 aux termes de laquelle tout fichier informatique contenant des données à caractère personnel doit faire l'objet d'une déclaration auprès de la CNIL.

    La Cour d'appel de Rennes avait considéré que l'absence de déclaration du fichier n'entraînait pas la nullité de sa vente et son arrêt a été censuré de manière extrêmement claire.

    Il n'y a donc plus d'ambiguïté.

    Au-delà des sanctions pénales déjà lourdes encourues en cas de non-accomplissement des formalités auprès de la CNIL (articles 226-16 à 226-22 du Code pénal) s'ajoute une sanction civile : l'absence de valeur marchande d'un fichier informatisé de données personnelles non déclaré et la possibilité pour l'acquéreur de ne pas payer le prix (tout en conservant le fichier !).

    Une solution aux conséquences désastreuses lorsque la cession du fonds de commerce consiste essentiellement en la cession d'un fichier (informatisé) de clientèle tel celui concerné par l'arrêt examiné : "une liste d'environ 6.000 clients référencés dans un fichier complet, manuscrit et classé, des classeurs ordonnés, un fichier de clients informatisé sous logiciel Windows, le numéro de téléphone".

    Une solution néanmoins efficace si l'on souhaite que la protection des données personnelles, qui touche aux droits fondamentaux des personnes qui y figurent, soit effective et ne reste pas une pétition de principe.

    Me Xavier Chabeuf

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  • Aujourd’hui, la mise en place d’une couverture collective obligatoire relève de la libre décision des partenaires sociaux représentatifs au niveau de la branche ou de l’entreprise, ou de l’employeur dans le cadre d’une décision unilatérale.

    La loi du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi généralise la couverture complémentaire santé à tous les salariés à compter du 1er janvier 2016.

    Afin d’aboutir à ce résultat, des négociations doivent être engagées, dès le 1er juin 2013, au sein des branches, et à compter du 1er juillet 2014, dans les entreprises disposant d’un délégué syndical. A partir du 1er janvier 2016, si ces négociations n’ont pas abouti, les entreprises auront l’obligation de proposer à leurs salariés un panier de soins minimal de 125% du tarif de la Sécurité sociale pour les prothèses dentaires et 100 € par an pour l’optique et sera financé à minima, à hauteur de 50%, par l’employeur.

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    Seul hic : le projet de loi de finances (PLF) pour 2014 prévoit que l’abondement de l’employeur sur la complémentaire santé soit intégré dans les revenus à déclarer (jusqu’à présent cet abondement était exonéré d’impôt). De ce fait, cet avantage, déjà assujetti à CSG/CRDS pour le salarié et au forfait social pour les employeurs de 10 salariés, va entrer dans l’assiette de l’impôt sur le revenu.

    Me Manuel Dambrin

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  • La loi du 22 juillet 2013 sur l’enseignement supérieur et la recherche a modifié certaines dispositions relatives aux stages, l’occasion de rappeler quelques fondamentaux qui, faute d’être respectés, pourront entrainer la requalification du stage en contrat de travail à durée indéterminée.

    1. Le stage doit correspondre à une période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l'étudiant acquiert des compétences professionnelles qui mettent en œuvre les acquis de sa formation en vue de l'obtention d'un diplôme ou d'une certification. Le stagiaire se voit confier une ou des missions conformes au projet pédagogique défini par son établissement d'enseignement et approuvées par l'organisme d'accueil (c. éduc. art. L. 612-8, al. 4 nouveau) ;
    2. Les stages ne peuvent avoir pour objet l'exécution d'une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent de l'entreprise (c. éduc. art. L. 612-8 et D. 612-53) ;
    3. Le stage repose toujours sur une convention tripartite entre le stagiaire, l'organisme d'accueil et l'établissement d'enseignement (c. éduc. art. L. 612-8, al. 1) ; il est intégré à un cursus pédagogique scolaire ou universitaire, selon des modalités particulières (c. éduc. art. L. 612-8 et D. 612-48) ;
    4. Lorsque la durée du stage est supérieure à 2 mois, consécutifs ou non, l'entreprise d'accueil doit une gratification à l'intéressé (c. éduc. art. L. 612-11 et D. 612-54). Celle-ci est due à compter du premier mois de stage et doit être versée mensuellement ;
    5. La durée du ou des stages effectués par un même stagiaire dans une même entreprise ne peut pas être supérieure à 6 mois par année d'enseignement (c. éduc. art. L. 612-9).

     

    Me Manuel Dambrin


  • L’employeur qui envisage de licencier un salarié doit, avant de prendre une décision, convoquer l’intéressé à un entretien préalable, quel que soit le motif du licenciement (art. L.1232-2 du code du travail).

     

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    Bien qu’il soit souvent perçu comme une simple formalité, l’entretien préalable a son importance pour le salarié qui voudrait se réserver la possibilité de contester par la suite son licenciement. C’est ce qu’enseigne le récent arrêt du 23 octobre 2013 rendu par la Cour de cassation (P. n° 12-22.342).

    Dans l’affaire qui a donné lieu à cette décision, le salarié avait été licencié pour avoir refusé d’exécuter un ordre et insulté sa supérieure hiérarchique. Il contestait ces faits devant le Conseil de prud'hommes en se fondant notamment sur l’insuffisance de preuve apportée par son employeur et en invoquant le principe selon lequel, comme en matière pénale, « si un doute subsiste, il profite au salarié » (art. L.1235-1 al.5 du code du travail).

    Pour sa défense, l’employeur soutenait que le salarié avait reconnu les faits reprochés lors de l’entretien préalable et, pour en justifier, il produisait des attestations établies par le DRH et la supérieure hiérarchique du salarié qui avaient mené cet entretien préalable.

    Le Conseil de prud'hommes et la Cour d’appel ont jugé ces témoignages irrecevables et donné gain de cause au salarié en jugeant son licenciement abusif. Pour en décider ainsi, les juges se sont appuyés sur le principe général du droit selon lequel « nul ne peut témoigner pour soi-même » ; ils ont considéré, en effet, que le DRH et la Responsable hiérarchique du salarié, qui avaient représenté l’employeur lors de l’entretien préalable, devaient être assimilés à ce dernier et ne pouvait donc valablement apporter leur témoignage au soutien des faits reprochés au salarié.

    Ce raisonnement est condamné par la Cour Suprême : celle-ci rappelle qu'en matière prud'homale la preuve est libre et que, dès lors, rien ne s'opposait à ce que le juge prud'homal examine des attestations établies par des salariés ayant représenté l'employeur lors de l'entretien préalable.

    A bon entendeur…

    Manuel Dambrin

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  • Un salarié qui se livre à une activité personnelle sur son temps de travail peut être poursuivi et condamné pour abus de confiance. C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 19 juin 2013 (pourvoi n° 12-83.031). Les faits étaient les suivants :

    Le salarié, prothésiste dentaire au sein d’un centre de rééducation fonctionnelle, était chargé de réaliser des moulages de prothèses provisoires pour des patients admis au centre. Les patients restituaient lesdites prothèses provisoires à leur sortie et faisaient leur affaire d’acquérir leur prothèse définitive auprès d’un prothésiste libéral de leur choix.

    L’enquête a révélé que le prothésiste salarié avait passé un accord avec un confrère libéral, vers lequel il orientait les patients pour la confection de leur prothèse définitive. Surtout, le prothésiste salarié fournissait à son confrère libéral les moulages qu’il fabriquait pendant ses heures de travail (et, accessoirement, avec le matériel du centre de rééducation).

    En échange de ce bon procédé, le prothésiste libéral rétrocédait à son confrère salarié 30% du prix encaissé des appareillages définitifs.

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    Déféré devant le Tribunal Correctionnel puis la Cour d’appel pour abus de confiance, le salarié a été condamné pour abus de confiance et corruption de salariés, à dix mois d’emprisonnement avec sursis et 50.000 € d’amende. Il a en outre été condamné à verser à son employeur la somme de 130.000 € à titre de dommages et intérêts incluant plus de 100.000 € correspondant au remboursement de ses salaires

    Cette solution n’avait rien d’évident.

    En effet, pour justifier cette condamnation la Cour de cassation énonce « que l'utilisation, par un salarié, de son temps de travail à des fins autres que celles pour lesquelles il perçoit une rémunération de son employeur constitue un abus de confiance ».

    Or, selon l’article 314-1 du code pénal, « l'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ».

    Ce texte vise limitativement le détournement de « fonds », de « valeurs » ou d’un « bien quelconque », et non le détournement du « temps de travail », qui est immatériel.

    Précisons enfin que toute utilisation du temps de travail à des fins personnelles ne s’assimile pas de l’abus de confiance. Seuls les comportements délictueux sont visés : salariés, vous pouvez continuer à surfer sur Internet pendant vos heures de travail, vous serez seulement licencié pour faute grave, Ouf !

    Me Manuel Dambrin

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  • Les pouvoirs publics sont rarement à court d'imagination pour justifier de nouveaux prélèvements.

    Le concours Lépine de l'imagination fiscale a été remporté avec mention en 2011 par la contribution pour l'aide juridique (Article_1635_bis_Q du Code général des impôts), créée par la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011.

    Il s'agit d'un droit de timbre fixé à 35 euros, dû par toutes les personnes qui introduisent une instance devant les juridictions judiciaires en matière civile, commerciale, prud'homale, sociale et devant les juridictions administratives, en première instance et en appel (avec moultes exceptions, naturellement)

    La motivation de cette atteinte portée au sacro-saint principe de gratuité de la justice ? Le financement de l'aide juridictionnelle, soit le règlement des honoraires forfaitaires versés aux avocats assistant les plus démunis.

    Noble cause s'il en est.

    Sauf que l'on distinguait également les biens prosaïques besoins de financement d'un Etat chroniquement impécunieux, qui trouvait là le moyen simple et efficace de faire rentrer de nouvelles ressources indolores pour le plus grand nombre.

    Sauf que l'on pouvait également se demander si le financement de l'aide juridictionnelle ne relevait pas du budget général de l'Etat, sans qu'il soit nécessaire de faire appel à ceux qui demandent à la justice de la République d'exercer cette fonction régalienne essentielle : trancher les différends, dire le droit.

    C'est d'ailleurs à ce mode de fonctionnement que le Gouvernement se propose de revenir, puisque le produit du droit de timbre (60 millions d'euros sur un budget de l'aide juridictionnelle de 379 millions d'euros) sera compensé par une dotation budgétaire.

    Dans un souci de Justice Sociale (et de cohérence), les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle totale (revenus inférieurs à 929 euros mensuels) étaient exonérés du paiement du droit de timbre à 35 euros.

    C'est pourtant ce même souci de Justice Sociale, décidément concept fourre-tout justifiant tout et son contraire, qui a conduit l'actuelle majorité à défaire ce que la majorité précédente avait mis en place, puisque l'article 69 du projet de loi de finances pour 2014 prévoit de supprimer ce droit de timbre à compter du 1er janvier 2014.

    Selon le garde des Sceaux, forte de l'oeuvre civilisatrice du Gouvernement, dévoué au service du Bien : : "C'est un geste grandiose et juste " (Libération, 23 juillet 2013). "Ce timbre fonctionne comme une entrave à la justice".

    Comprenne qui pourra.

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    On peut quand même se demander si des justiciables qui ne sont pas disposés à investir 35 euros, soit un petit plein d'essence, pour avoir recours à la justice, sont bien motivés.

    Surtout que, dans le même temps, il n'est aucunement envisagé de supprimer le droit de timbre de 150 euros, à acquitter par toutes les parties à une procédure d'appel : l'accès à un deuxième degré de juridiction est-il secondaire au point qu'il soit juste de maintenir une contribution fiscale d'un montant non négligeable, qui doit être acquitté également par la partie intimée (en défense) ?

    Mais j'ai sans doute tort d'essayer de chercher de la cohérence là où il n'y a qu'une politique budgétaire à (courte) vue et de la grandiloquence d'estrade partisane. 

    Le plus désagréable dans cette affaire n'est pas tant la question de l'aide juridictionnelle ou celle de la justice sociale, qui peuvent être appréciées diversement avec plus ou moins de bonne foi part et d'autre, mais l'instabilité juridique et le coût induit. Le gâchis.

    A l'issue de ces 27 mois d'existence (1er octobre 2011-1er janvier 2014), ce pauvre droit de timbre aura suscité bien des questionnements chez les avocats (est-il exigé ou non ? devant quelles juridictions ? A quel moment ?), magistrats (l'absence de timbre peut-elle être régularisée ?  Quelles conséquences tirer de son absence ?), et clients (quelle est cette nouvelle ligne sur la note d'honoraires ?). Il aura suscité bien des débats et contestations, conduisant à des tribunes enflammées et à des recours judiciaires devant les plus hautes juridictions de France (Conseil d'Etat, Conseil constitutionnel).

    La pratique s'était peu à peu fixée, les différents usages tendant à s'harmoniser, la jurisprudence commençait à jouer son rôle régulateur.

    Tout cela en vain.

    Il serait intéressant de calculer le rapport précis de ce droit de timbre, et son apport véritable à la défense des plus démunis.

    Il faudrait chiffrer pour ce faire l'énergie déployée à mettre en place la taxe, à la comprendre, à l'expliciter, à la justifier, à l'interpréter, puis à la commenter, à la combattre pour enfin la démanteler.

    Jusqu'au temps passé à écrire ce post !

    Une histoire bien française, en somme.

    Me Xavier Chabeuf

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  • Bienvenue sur le blog de Cardinal, un blog d'actualité juridique tenu par les avocats du Cabinet Cardinal, en droit des affaires, droit social et droit des personnes.

    L'objectif que nous poursuivons ici n'est pas de faire oeuvre de doctrine juridique, ni de reprendre des brèves, mais d'essayer d'apporter à nos lecteurs et à nos clients des informations pratiques susceptibles de leur être utiles immédiatement.

    Il y aura bien, parfois, quelques digressions et prises de position, mais là ne sera pas l'essentiel.

    Les commentaires sont les bienvenus, et si vous souhaitez approfondir les questions abordées ici, n'hésitez pas à directement prendre contact avec nous.

    Bonne lecture !